Après un début prometteur, le documentaire ne fait malheureusement qu’effleurer le thème de la grossophobie et ne développe pas les raisons de l'inefficacité des régimes, deux facteurs aggravant de l’obésité. Rapidement, le sujet se centre sur le sucre en l’érigeant comme grand coupable de l’épidémie d’obésité. En approfondissant les auteurs auraient pourtant découvert que la prise de poids n’est pas liée à la consommation d’un nutriment en particulier mais à la surconsommation calorique globale[1]. Il est à la fois dommage et dommageable de ne pas évoquer le caractère complexe et multifactoriel des déterminants de l'obésité dont connait le rôle majeur de la génétique[2]. Ce documentaire contribue à entretenir une confusion des genres entre santé et obésité. Bien évidemment, en tant que médecin je ne nie pas l’existence des comorbidités associées à l’obésité. Cependant, un aliment santé ne préviendra par pour autant le développement d'un surpoids. L'huile de palme ne fera pas plus grossir que l’huile d’olive, et d’ailleurs ni l’un ni l’autre ne fera intrinsèquement grossir.
Pointer du doigt les pratiques agressives de la puissante industrie agro-alimentaire nous met en garde sur des risques santé. Mais, en incriminant le sucre comme facteur déterminant de la prise de poids, on oublie de dire que les personnes grosses se retrouvent encore une fois à la barre des accusés, ceux qui ne savent pas se contrôler, contribuant ainsi à cultiver les préjugés à leur sujet.
On déplorera aussi dans ce reportage la publicité faite aux défenseurs de la thèse de l’existence d’une addiction au sucre. Il existe pourtant un consensus scientifique s’opposant à cette hypothèse. Aucun aliment ni aucun nutriment ne répond aux critères d’addiction du DSM 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Le sucre étant omniprésent dans les étalages, comment, à moins d’un contrôle incessant, y échapper ? Cette lutte, additionnée à notre envie naturelle de produits sucrés (et gras) estampillés d’une mauvaise réputation réalisent un cocktail idéal pour développer ce qu’on appelle la restriction cognitive dont nous connaissons aujourd’hui les conséquences néfastes sur notre comportement alimentaire[3].
Les données récentes de la recherche en neurobiologie décrivant les circuits neuro-hormonaux impliqués dans les processus de régulation du comportement alimentaire nous apprennent que chaque prise alimentaire est motivée par des sensations alimentaires ou encore des émotions. Notre motivation à manger ne disparait que parce que le plaisir est au service de nos désirs eux-mêmes déclenchés par des besoins[4]. Pour s’approcher au mieux de ce comportement alimentaire physiologique (dit « intuitif ») nous avons besoin d’être le plus attentif possible à nos sensations, à nos envies, à ce que nous mangeons et à ce que nous ressentons. Pour cela nous avons besoin d’un climat apaisé autour de l’alimentation.
Or, bien que ce documentaire délivre une information (déjà connue) sur les outils utilisés par l’industrie agro-alimentaire pour nous pousser à consommer leurs produits, il renforce aussi le climat de peur déjà existant qui pèse sur les épaules du mangeur moderne.
Comment réussir à nous réconforter en mangeant si on se sent coupable ? Comment rester attentifs à nos sensations si chacune de nos prises alimentaires est lestée d’un sentiment de crainte quant à notre poids ou notre santé ? Plutôt que de concentrer nos efforts sur la rééducation nutritionnelle, utilisons notre énergie à l’éducation de nos enfants sur les sujets de l’alimentation intuitive, du goût, de l’art culinaire, de l’acceptation émotionnelle, du mouvement du corps ou encore du respect des différences corporelles.
Dr Morvan Ronan
Médecin généraliste
Praticien du G.R.O.S.
[1] Leibel et al. Energy intake required to maintain body weight is not affected by wide variation in diet
composition, Am. J. Clin. Nutr. 55 (1992)
[2] Claude Bouchard, Ph.D., Angelo Tremblay, Ph.D., Jean-Pierre Després, Ph.D., The response to long-term overfeeding in indentical twins N. Engl. J. Med. 1990
[3] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail “Évaluation desrisques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement” Rapport d’expertise collective Novembre 2010 Édition scientifique, p. 68
[4] Fantino M. “Contrôle physiologique de la prise alimentaire”, in Basdevant A., Laville M. et Lerebours E. (éd),Traité de nutrition clinique de l’adulte, Paris, Flammarion Médecins-Sciences, 2001, p 25-34