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Maigrir: l'histoire de Clara

Dr Jean-Philippe Zermati Travail réalisé avec le Dr Gérard Apfeldorfer

Maigrir est une tâche complexe. Les approches classiques qui expriment l’objectif en nombre de kilos à perdre sont souvent vouées à l’échec, du moins à terme. Une nouvelle approche vise surtout à restaurer les capacités de régulation. Explications avec le cas de Clara.
Clara est âgée de 42 ans. Elle est d’origine italienne. Ses parents, de condition modeste, sont naturellement minces, mais très attentifs à leur poids et à leur alimentation. Ils consomment une nourriture “saine” et “équilibrée”. Ils n’ont jamais prononcé de réflexions désagréables sur le poids de leur fille, mais ils ne se privent pas de faire des commentaires désobligeants au sujet des gens trop gros. Sans les mots, ils savent faire comprendre l’importance qu’ils donnent à « ne pas se laisser aller ».

Des parents exigeants

Tous les deux se sont montrés particulièrement exigeants quant aux études de leur fille et, d’une manière générale, quant à ses performances, qu’ils tiennent pour la condition de son intégration dans leur pays d’adoption. Elle tire de son éducation un perfectionnisme exacerbé et un très haut niveau d’exigence vis-à-vis d’elle-même.

Le premier régime

À l’âge de 16 ans, un peu complexée par son changement de morphologie, elle tente brièvement un « petit régime ». À 18 ans, elle passe son bac, pèse 62 kg pour 1,75 m, commence à fumer et s’inscrit en sciences économiques. Elle constate que s’installent, à ce moment-là, des préoccupations pondérales et un léger contrôle de son alimentation. Elle commence à « faire attention ».

Les enfants arrivent

À 25 ans, elle commence sa carrière professionnelle comme consultante sur les marchés financiers. Elle rencontre son futur mari, qu’elle épouse deux ans plus tard. Leur premier enfant naît cette même année, et le second deux ans plus tard. Chaque grossesse est suivie d’un « petit régime », pour revenir plus rapidement à son poids habituel, qui se situe entre 65 et 67 kg. Dans le même temps, il n’est plus suffisant de “faire attention“, et un contrôle plus serré de l’alimentation se révèle nécessaire pour que son poids se maintienne.

Derrière la réussite sociale...

L’idée permanente que 4 ou 5 kg de moins seraient préférables habite Clara. Chaque fois qu’elle frôle la barre fatidique des 70 kg, elle se « serre un peu la vis en supprimant ce qui fait grossir ». Clara est très soucieuse de son apparence et ne supporte aucune marque de laisser-aller, concernant tant ses tenues vestimentaires que sa silhouette. L’éducation de ses deux enfants, les responsabilités grandissantes au sein de son entreprise, les difficultés professionnelles rencontrées par son mari et le décès de son père marquent l’évolution des années qui suivent. Clara présente les apparences d’une belle réussite sociale et personnelle. Elle se décrit pourtant comme anxieuse, vulnérable au jugement de ses amis et de ses collègues. Elle supporte très mal la perspective d’un échec quel qu’il soit.

Clara a pris 16 kilos

À 40 ans, Clara décide d’arrêter de fumer, alors que sa consommation quotidienne est de 20 cigarettes. L’arrêt du tabac entraîne une prise de poids dès les deux premiers mois, et celle-ci se poursuit au cours des deux années suivantes, malgré des efforts soutenus de régime. Au total, Clara a pris 16 kg, et elle pèse maintenant 83 kg. Son indice de masse corporelle (IMC) est de 27,1. Clara s’astreint à prendre trois repas par jour, et elle veille à n’en sauter aucun. Elle s’impose généralement une nourriture réduite en matières grasses et en sucre, et consomme régulièrement des légumes et des protéines maigres.
Toutefois, depuis l’arrêt du tabac, elle constate l’apparition de compulsions sucrées en fin de journée, après son travail, et le soir, après le dîner. Le week-end et les moments où elle est inoccupée sont fréquemment l’occasion de grignotages. D’une manière générale, ses contrariétés sont souvent suivies de compulsions.
Il est décidé d’un commun accord d’engager un travail sur les compulsions et la restriction cognitive, puis d’engager une réflexion sur son perfectionnisme qui semble se manifester dans le désir d’un corps irréprochable, les relations avec l’entourage et l’estime de soi.

Les réponses du nutritionniste

Le petit carnet

Dans un premier temps, il est demandé à Clara de tenir un carnet alimentaire et de porter son attention sur ses sensations de faim et de rassasiement, ainsi que sur les situations au cours desquelles il lui semble manger sans faim.
Clara déclare ne pas très bien distinguer la faim de l’envie de manger. Elle perçoit très mal le rassasiement et mange assez souvent sans faim dans les situations problèmes suivantes:

  • pour respecter des règles alimentaires (elle s’oblige à manger trois fois par jour, même si elle n’a pas faim);
  • par crainte d’avoir faim entre les repas (elle s’interdit de manger entre ceux-ci);
  • quand elle se trouve exposée à des aliments “interdits”;
  • quand elle essaie de consommer des aliments “interdits”, même en petite quantité;
  • quand son assiette comporte plus de nourriture qu’elle n’en mangerait par faim;
  • quand elle éprouve des émotions négatives.

Se concentrer sur le goût

Dans un deuxième temps, il est demandé à Clara de manger en consacrant plus d’attention à ses sensations alimentaires, en se concentrant sur le goût des aliments. Des exercices de concentration et de dégustation lui sont enseignés. Les processus de rassasiement lui sont expliqués. Les recommandations suivantes lui sont adressées:

  • manger quand elle a faim et ne pas manger quand elle n’a pas faim, sans tenir compte de règles concernant les prises alimentaires et, dans la mesure du possible, sans même tenir compte des convenances sociales;
  • manger, quand elle a faim, les aliments de son choix, sans tenir compte de la nature des aliments, et tout particulièrement de leur “pouvoir grossissant” ou non;
  • dans le cas où elle ne parviendrait pas à respecter ses sensations alimentaires, il lui est demandé de préciser les situations problèmes qui la font manger sans faim et, le cas échéant, d’indiquer le nom et la cause des émotions responsables.

Clara déclare se sentir plus apaisée face à la nourriture, mais elle éprouve toujours des difficultés à discerner le rassasiement. La peur de la faim, l’exposition aux aliments “interdits” et la survenue d’émotions négatives sont le plus souvent responsables de ses surconsommations.

Clara pèse 75 kg…

Dans un troisième temps, des expériences alimentaires et sensorielles sont proposées à Clara (voir encadrés ci-dessous).
Au terme de ces séances, Clara a perdu du poids et pèse maintenant 75 kg. Son IMC est de 24,5. Elle déclare se sentir en paix avec ses aliments et manger en fonction de ses sensations alimentaires, sans se préoccuper d’autre chose.

… mais elle n’a pas renoncé son poids idéal

Toutefois, Clara exprime une grande difficulté à accepter ce nouveau poids et ne se résout pas à renoncer à son poids idéal, qu’elle situe autour de 65 kg. Elle admet qu’il ne lui serait possible d’atteindre celui-ci qu’en mangeant moins qu’elle n’a faim. Ce qu’elle ne conçoit pas, mais ce qui ne l’aide pas non plus à accepter ce nouveau poids. Elle constate que ses émotions sont encore la cause de compulsions. Ces dernières sont devenues moins fréquentes, mais elles pourraient laisser persister un surpoids par rapport au set-point. Il est convenu de poursuivre les séances en se concentrant sur l’acceptation de soi et la représentation sociale du corps gros, ainsi que sur le perfectionnisme, cause majeure de son anxiété.
La peur de grossir de Clara se fonde sur l’idée qu’elle se fait du jugement des gens sur les personnes obèses. Elle considère elle-même que le surpoids est un signe de faiblesse et de manque de volonté, une sorte de maladie honteuse. Elle pense qu’il constitue aussi un obstacle majeur à son pouvoir de séduction, et même à son bonheur. Elle prend conscience qu’elle a renoncé à un grand nombre d’activités ou de projets à cause de son surpoids. Elle ne s’autorise plus à aller danser, à se mettre en maillot de bain ou à prendre des vacances à la mer. Elle n’ose plus porter des vêtements près du corps et porte à la place des vêtements amples, qui dissimulent ses fesses et ses hanches. Elle hésite même parfois à se rendre chez des amis qui l’ont connue plus mince.

Retrouver l’estime de soi

Diverses pensées sont analysées: les gros n’ont pas de volonté; pour séduire, il faut être belle; je ne peux m’aimer que si je me plais; si je grossis, je vais perdre mes amis et je ne serai plus crédible dans mon travail; les gens se moquent de moi quand je parle… Plusieurs séances sont consacrées à discuter ces pensées et à expérimenter des situations qui permettent de réviser les croyances de Clara, en particulier sur la beauté, la séduction et l’amour. Des expériences sont proposées dans le but de mieux s’assumer et de recouvrer une meilleure estime de soi. Progressivement, les comportements d’évitement de Clara s’atténuent, et elle reprend confiance en elle.
Au cours de la prise en charge, Clara rencontre des difficultés dans son travail qui occasionnent de nouvelles compulsions et la reprise de quelques kilos. Son haut niveau d’exigence, la peur d’échouer et de décevoir sont la cause des émotions qui ont entraîné ces compulsions.

Enfin le poids se stabilise

La relation avec son père est immédiatement évoquée. Et les entretiens se centrent sur la différenciation entre les désirs de Clara et ceux de son père. D’une façon générale, Clara apprend à moins dépendre des attentes des autres. Des expériences mettent Clara en situation d’échec acceptable, afin d’en constater les conséquences réelles et non pas imaginaires sur ses relations avec son entourage. On teste ainsi l’idée qu’il n’est pas nécessaire d’être parfaitement compétente pour être appréciée, ni parfaitement belle pour être aimée.
Clara a fini par stabiliser son poids autour de 73 kg. La prise en charge ne s’est pas résumée à une simple perte de poids. Elle s’est déroulée de façon complexe – elle a été accidentée par des avancées et des reculs – et inattendue, avec des détours loin de la nourriture. De profonds changements sont intervenus dans sa manière d’aborder la nourriture, l’image de soi et ses rapports avec les autres. Le poids n’est pas celui qu’elle avait espéré, mais c’est le sien, et elle l’accepte.


Bon à savoir

Tout ce que l’on mange après être rassasié est mangé sans faim. Par définition, ce que l’on mange sans faim représente la quantité de nourriture en trop, celle qui peut faire grossir quand elle n’est pas régulée, même s’il s’agit de radis ou de yaourts à 0 %.
Tout ce que l’on mange avant d’être rassasié est mangé par faim. Cela correspond aux besoins énergétiques et ne peut faire grossir, qu’il s’agisse de frites ou de chocolat.
Par conséquent, la question n’est pas de savoir s’il faut manger des frites ou des radis, mais de savoir, que l’on mange des frites ou des radis, s’il y en a assez ou trop.


Bon à savoir

Les expériences de substitution consistent à remplacer, durant quelques jours, la totalité du déjeuner habituel par la consommation d’un aliment “interdit”.
Leur but est double. D’une part, montrer à la patiente que la consommation d’un aliment “interdit” ne fait pas grossir quand il est mangé avec faim, et même qu’elle peut entraîner une perte de poids. D’autre part, faire progresser la patiente quant à sa perception du rassasiement et à sa capacité à respecter ses sensations alimentaires.
Ces expériences sont répétées plusieurs fois, avec divers aliments “interdits”, et complétées par d’autres expériences au cours desquelles il est demandé à la patiente de jeter les aliments qui excèdent sa faim, afin de marquer symboliquement l’idée qu’elle ne souffre pas d’un manque de nourriture, et tout particulièrement qu’elle ne sera plus privée des aliments qu’elle s’interdisait jusqu’ici.


Bon à savoir

Quand une personne a peur d’avoir faim, elle cherche généralement à faire disparaître sa faim en consommant plus qu’il n’est besoin. Alors qu’il lui faudrait faire disparaître sa peur.
Voici une expérience qui l’y aidera:

  • le matin, ne pas prendre de petit déjeuner pendant quelques jours;
  • se munir d’une collation de son choix;
  • consommer cette collation dans la matinée, en cas de faim seulement.
Publié par Association GROS le