L’article suivant a été publié dans Le Monde du vendredi 14 janvier 2011, n° 20521, page 20
Depuis 10 ans, le nombre d’obèses a augmenté de 50 %. Il faut donc agir ! Certes, mais comment ? Les solutions proposées par les différentes instances gouvernementales mettent à jour l’insuffisance des connaissances, tant sur le plan théorique que pratique, et aboutissent à des politiques de Gribouille.
Comment, par exemple, le Programme National Nutrition Santé français peut-il encore engager tout un chacun à réduire sa consommation de gras, s’opposant ainsi à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) qui, en 2010, vient de relever les apports conseillés en lipides de 35 à 40% au lieu de 30 à 35% ? L’agence note que 30% des Français se situent au-dessous du seuil de consommation recommandé. Elle note aussi que la proportion de lipides de la ration alimentaire ne saurait être la cause de l’obésité. Pourtant, l’AFSSA conclut en recommandant à tous de suivre les préceptes du PNNS : manger moins gras. Que de contorsions, pour protéger un Programme national nutrition santé, dont les slogans, à force de se vouloir universels, finissent par se révéler faux et culpabilisateurs.
Le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) de 2010 sur «l’évaluation des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement», établi par un comité d’experts indépendants, démontre clairement l’inefficacité des réponses d’ordre diététique dans le traitement de l’obésité. La majorité des régimes amaigrissants peut à la longue induire des déséquilibres nutritionnels graves, préjudiciables à la santé physique. Le « régime équilibré », actuellement recommandé par les sociétés savantes de nutrition, n’échappe pas aux critiques : comme les autres, il perturbe les mécanismes de régulation de la prise alimentaire, induit des troubles du comportement alimentaire et différents troubles psycho-émotionnels.
Au total, 90 à 95 % des patients soumis à un régime, équilibré ou non, reprendront le poids perdu dans les trois années qui suivent, ainsi que le montrent les études citées. Beaucoup d’entre eux verront leur surpoids ou leur obésité s’aggraver ! Ainsi qu’il est écrit en toutes lettres dans le rapport : « Au final, la "solution" diététique aggrave souvent le "problème" pondéral. » (p 68).
Si la diététique n’est pas la solution, est-elle à rechercher du côté des médicaments ? Non, malheureusement. Si le Mediator® a pu survivre si longtemps malgré les lourds soupçons qui pesaient sur lui, c’est parce qu’il est le dernier des Mohicans, le seul survivant d’une longue lignée de médicaments anti-obésité, retirés les uns après les autres de la vente pour dangerosité et inefficacité. Ce coupe-faim, dont la molécule est voisine de l’Isoméride®, produit lui aussi des laboratoires Servier, n’a pu survivre qu’en se déguisant en médicament anti-diabétique.
Toutes ces données sont en fait connues depuis longtemps. Le GROS (Groupe de Réflexion sur l'Obésité et le Surpoids), s’est toujours défié de médicaments qui au mieux, n’ont que des effets temporaires, et au pire, s’avèrent dangereux. L’association stipule dans sa charte, établie en 1998, que les régimes amaigrissants, quels qu’ils soient, sont des pratiques inefficaces et nocives, et que les conseils nutritionnels ne sont pas une réponse pertinente face à la montée de l’obésité.
Que faut-il encore pour que le corps médical, les instances gouvernementales, les différents médias disent, non pas en catimini, mais haut et fort, que les solutions diététiques ne sont pas la bonne méthode pour venir à bout des problèmes pondéraux ? Faudra-t-il, comme l’a fait Irène Frachon avec le Médiator, qu’on procède à l’inventaire des dégâts causés par les régimes amaigrissants ? Faudra-t-il comptabiliser les troubles du comportement alimentaire, les dépressions, les troubles psycho-émotionnels, les vies détruites ? Faudra-t-il faire le décompte des kilos accumulés sur le long cours à force de régimes amaigrissants, et rappeler que ces obésités créés ou entretenues par les régimes génèrent diabètes, cancers, troubles cardio-vasculaires et diminution de l’espérance de vie ? Que faire pour qu’enfin chacun prenne ses responsabilités ?
Et qui le dira ? Le marché de la minceur fait vivre beaucoup de monde. Que de conflits d’intérêt ! Quels sont les médias qui seront en position de les dénoncer avec suffisamment de force ?
Sans régime, ni médicament, les médecins se sentent réduits à l’impuissance. D’autant plus que les avancées de la physiologie montrent que tout le monde ne maigrira pas, en tout cas pas autant qu’il le désire, pas autant que le recommandent des politiques de santé irresponsables. Car une fois que les cellules graisseuses se sont multipliées, le retour au poids initial est loin d’être garanti.
Pourtant, renoncer aux régimes n’est pas capituler devant l’obésité, bien au contraire! Renoncer, aux régimes, c’est s’ouvrir à d’autres approches, plus élaborées, plus respectueuses de la physiologie et de la psychologie des personnes.
Les praticiens de notre association ont fait des propositions constructrices concernant la prévention de l’obésité. Ils utilisent dans leur pratique quotidienne différentes approches : la thérapie biopsychosensorielle, les thérapies cognitivo-comportementales et leur volet de thérapie émotionnelle, les approches psychodynamique et corporelle. Ces méthodes sont désormais utilisées par des soignants en nombre grandissant, tant en France qu’à l’étranger. Elles sont enseignées dans le cadre de notre association. Nous souhaitons que les moyens permettant de les évaluer scientifiquement soient mis en œuvre, afin qu’on puisse en généraliser la pratique.
Dr G. Apfeldorfer, psychiatre, Président d’Honneur du GROS
Dr J.-P. Zermati, nutritionniste, Président d’Honneur du GROS
Dr B. Waysfeld, psychiatre, nutritionniste, Président du GROS