Gérard Apfeldorfer (médecin psychiatre, Paris)
Les problèmes de santé engendrés par l’obésité conduisent les médecins à la prévenir massivement. Les praticiens sont partagés dans leur exercice entre la préconisation du “maigrir à tout prix” et la prise en compte du patient dans sa globalité.
Face à l’excès pondéral, le corps médical est confronté à une situation bien inconfortable. Les répercussions physiques, psychologiques et sociales de l’obésité, le fait qu’elle constitue un facteur de risque, conduisent les médecins à préconiser l’amaigrissement de leurs patients en surpoids ou obèses. Les personnes sans surpoids réel, influencées par une esthétique du corps mince, demandent elles aussi instamment qu’on les aide à maigrir.
Une louable intention
Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions: tout d’abord, force est de constater que l’on ne dispose pas à ce jour de traitement de l’obésité efficace, mais sans danger, et permettant de maintenir un poids satisfaisant dans la durée. Dans environ 30 % des cas, maigrir n’est tout simplement pas possible. Dans les autres cas, les mesures diététiques habituellement préconisées, qui consistent aujourd’hui pour l’essentiel en une éviction des corps gras de l’alimentation, si elles permettent souvent de perdre temporairement du poids, elles ne permettent pas de maigrir durablement. Comme on sait mal soigner une obésité aux allures épidémiques, le corps médical et les instances chargées de la santé publique sont donc tentés de la prévenir. Mais que penser de cette louable intention lorsqu’elle se conclut par une mise au régime de la totalité de la population? On connaît mal les conséquences des actions diététiques préventives sur le long terme, et certains les soupçonnent de favoriser certains troubles du comportement alimentaire et, en dernière analyse, l’obésité elle-même.
L’obésité, une maladie chronique
Face à cette situation, les médecins adoptent des stratégies diverses. Certains, naïfs ou cyniques, ne voulant rien connaître de la difficulté ou de l’impossibilité qu’il y a à maigrir durablement, font de l’activisme, interpellent leurs patients en surcharge pondérale, les pressent de maigrir, allant jusqu’à adopter des positions sadisantes. Une petite minorité des médecins s’efforce de considérer l’obésité comme une maladie chronique, qu’il convient de prendre en charge dans la durée, que l’on doit considérer dans un cadre plus vaste, celui de la problématique psychologique et sociale de la personne.
Il serait bon que cette minorité fasse des émules. Car, dès lors que le médecin voit les choses ainsi, sa perspective se renverse. Il ne se pose plus en moralisateur, il accepte son impuissance à “faire maigrir”, ce qui le met en situation de soigner au mieux les maladies provoquées ou aggravées par l’obésité sans y mettre de conditions, c’est-à-dire sans exiger d’amaigrissement préalable. Il est aussi plus à même de faire comprendre au patient qu’un travail psychothérapique, un travail corporel, un travail sur le comportement alimentaire pourront l’aider à se réconcilier avec lui-même, son corps, les aliments. Il arrive que, après ces utiles détours, la personne perde du poids…