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Comment le poids est-il déterminé ?

Arnaud Basdevant (Pr de nutrition, Hôtel-Dieu, Paris)

Le poids de chaque individu est en partie déterminé par son patrimoine génétique. Il dépend aussi du bilan entre les entrées d’énergie – l’alimentation – et les dépenses. Pour un même poids, certains individus paraissent maigres, d’autres gras.
Le poids est devenu l’une des grandes préoccupations de l’homme moderne. Alors que la prospérité économique laissait présager une relative insouciance alimentaire, il n’est question que de contrôle de poids et de régimes. L’idéal minceur est devenu une véritable idéologie des sociétés industrielle et post-industrielle. Nos ancêtres luttaient pour conserver une corpulence compatible avec la vie et la survie, nos descendants chercheront à éviter la pléthore. Pourquoi est-il devenu si difficile de “réguler” son poids ? Avant de répondre à cette question, voyons ce que traduit le poids d’un individu et ce qui le détermine.

De quoi est fait le poids ?

La balance indique votre poids en kilos. Vous poussez la coquetterie jusqu’à noter les chiffres derrière la virgule. Mais que traduisent ces kilos et ces quelques grammes ? Pas grand-chose si vous ne tenez pas compte de votre taille. Peser 70 kg n’a pas la même signification si vous mesurez 1,55 m ou 1,82 m. Il faut ajuster la mesure du poids à celle de la taille. C’est une évidence sur laquelle il est inutile d’insister. Chacun évalue son poids ou celui du voisin en fonction de la taille.
Mais, au-delà du poids, ce qui vous intéresse – ou vous préoccupe ! – dans la corpulence, c’est la forme du corps, sa composition. Celle-ci exprime bien d’autres choses que le poids lui-même. Pour un même poids, certains individus sont “baraqués”, d’autres “rondelets”.

La composition du corps

Le corps humain est fait de différents tissus : muscles, organes (foie, reins, poumons, tube digestif, etc.), de sang… Ces différents tissus sont constitués d’eau, de graisses, de protéines, de glucides, de minéraux, en proportions variables. Par exemple, le muscle contient beaucoup d’eau et de protéines, ainsi que des glucides. L’os est riche en calcium. Le tissu graisseux, comme son nom l’indique, est principalement constitué de lipides (graisses). Il existe donc différents compartiments corporels, répartis, pour la simplicité, en trois secteurs : la masse grasse (tissu graisseux), la masse osseuse (os) et la masse maigre (qui correspond aux muscles, aux cellules des différents organes et aux liquides de l’organisme).

À chaque secteur sa fonction

La masse osseuse constitue la charpente, le squelette. Elle augmente avec la croissance, atteint son maximum vers 20 ans et décline ensuite progressivement, avec une accélération au moment de la ménopause. Ces modifications de la masse osseuse ont une influence sur la taille, mais très peu sur le poids.

  • La masse graisseuse sert au stockage de l’énergie. Nous y mettons en réserve l’énergie dont nous aurons besoin à distance des repas, en cas de jeûne ou de disette (heureusement, nos ancêtres savaient ainsi faire face aux périodes de famine... sinon nous ne serions pas là !). Les femmes ont des réserves graisseuses plus importantes que celles des hommes : en moyenne, les graisses représentent de 15 à 25 % du poids d’une femme, contre 10 à 20 % pour l’homme adulte. La masse grasse présente la particularité de pouvoir se développer de manière très importante : c’est l’obésité. Une personne qui grossit de 70 à 100 kg – donc qui “prend” 30 kg – double son stock de graisse, celui-ci passant à 20 kg. Un point est donc à retenir : les prises de poids importantes sont dues à une inflation des réserves énergétiques sous forme de graisse.
  • La masse maigre est constituée de cellules, d’eau et de minéraux. Le poids des organes qui la composent peut augmenter, mais jamais dans des proportions importantes (sauf chez les body builders intensifs !). On peut se muscler en faisant de l’exercice, mais on ne gagnera pas 30 kg. Les maladies cardiaques ou rénales entraînant des œdèmes (rétention d’eau) importants constituent la seule exception.

Selon l’importance de ces différents compartiments, tel sujet paraîtra “maigre” et tel autre “gras” pour un même poids.

Comment est contrôlée la composition corporelle ?

Le poids d’un individu dépend du bilan entre les entrées d’énergie (alimentation) et les dépenses (activité physique, métabolisme de base…). La composition corporelle dépend également, dans une certaine mesure, de la composition de l’alimentation (par exemple, de sa teneur en sel, en matières grasses), de facteurs hormonaux (hormone de croissance, hormones sexuelles, insuline). Chez l’homme, le bilan d’énergie dépend avant tout de la prise alimentaire.
La composition corporelle est l’objet d’un contrôle, d’une régulation. Chez la majorité des individus, le poids est relativement stable sur de longues périodes. Autrement dit, il existe un système qui permet de compenser les variations des apports alimentaires et des dépenses énergétiques.
Par exemple, si, à la suite d’une grosse grippe, une personne mange moins pendant quelques jours, elle compensera ultérieurement en augmentant son alimentation, et elle reprendra le poids perdu.
Nous connaissons de mieux en mieux le système qui contrôle le poids de l’individu. Très schématiquement, on peut le décrire de la manière suivante : le cerveau reçoit des messages des différents organes (le tube digestif, les cellules graisseuses, le muscle, notamment), qui le renseignent sur l’état des réserves énergétiques. Ainsi, une diminution des réserves d’énergie est signalée à une zone spécialisée du cerveau, l’hypothalamus, qui répond en déclenchant une prise alimentaire pour compenser ce déficit. À l’inverse, un excès d’apport déclenche des mécanismes qui freinent la prise alimentaire. Chacun en a fait l’expérience : après une période d’excès, comme les fêtes de fin d’année, l’appétit et la faim diminuent.
Ces messagers qui renseignent le cerveau sur l’état de la composition corporelle sont de mieux en mieux connus. Le plus célèbre est la leptine. Cette hormone est sécrétée
par les cellules graisseuses : si le tissu graisseux croît excessivement, la leptine augmente ; le cerveau réagit en freinant la prise alimentaire et en augmentant la dépense énergétique pour réduire le volume du tissu adipeux.
Il existe donc un système biologique qui contrôle l’intégrité de la composition corporelle. Fort heureusement, la corpulence varie d’un individu à l’autre, comme la taille. Certains sont grands, d’autres petits ; certains sont maigres, d’autres gros. Nous différons les uns des autres par quantité de caractéristiques, notamment la corpulence : c’est une richesse pour l’espèce, et pour nos personnalités. Nous ne sommes ni des robots ni des produits manufacturés.

La corpulence varie d’un individu à l’autre

Comme la taille, la corpulence varie d’un sujet à l’autre, d’une famille à l’autre, et d’une population à l’autre. Le niveau de régulation du poids et de la composition corporelle diffère selon les individus. Certains ont un poids qui se régule à 58 kg, et d’autres à 70 kg pour une même taille. Chacun a pu constater que deux personnes qui se comportent de la même façon en termes d’alimentation et d’activité physique peuvent avoir des poids différents. Comment l’expliquer ?
Tout d’abord, par la génétique : il y a des familles de maigres et des familles de gros. De nombreux chercheurs pensent que nous avons hérité de nos ancêtres une caractéristique biologique, transmise génétiquement : la capacité à résister à la perte de poids. Nos ancêtres ont dû faire face à des périodes de famine. Ils ont été “sélectionnés” génétiquement pour stocker de l’énergie en période d’abondance et pour résister à la disette. Cette caractéristique leur a permis de survivre. Cette qualité est devenue un inconvénient dans notre société d’abondance. La société de consommation et la
disponibilité alimentaire nous conduisent à prendre facilement du poids… mais notre héritage génétique nous rend résistants à nos tentatives d’amaigrissement ! Toutefois, les gènes n’expliquent pas tout : la corpulence ne varie pas seulement d’un individu à l’autre, elle varie chez une même personne au cours de la vie.

La corpulence varie cours de la vie

L’âge, l’alimentation, les hormones, l’environnement, le stress, entre autres, peuvent intervenir pour modifier la régulation du poids. Ainsi, au lieu de régler le poids d’un individu à 60 kg comme prévu génétiquement, le système modifierait le réglage pour le situer à 70 kg. Comme si le thermostat, ou plus exactement le “pondérostat”, changeait la valeur du réglage.
C’est d’ailleurs heureux, car c’est ce qui détermine la croissance ! Pendant toute la croissance de l’enfant, le système qui contrôle la composition corporelle modifie ses réglages. La puberté, avec ses modifications morphologiques, en donne un exemple caricatural : apparition des rondeurs chez la fille, augmentation des masses musculaires chez le garçon. Autre exemple, le vieillissement se caractérise par une diminution de la masse maigre (muscles et os) et par une augmentation de la masse grasse (surtout au niveau du ventre). Ainsi, pour un même poids, le même individu n’a pas la même morphologie à 20 ans et à 50 ans. Ces changements dépendent de modifications hormonales, de variations de la dépense énergétique et de l’évolution des habitudes alimentaires.

Comment se développe le tissu adipeux ?

Lorsqu’une prise de poids importante se produit, elle s’explique avant tout par le développement du tissu graisseux, constitué de cellules : les adipocytes. Un excès d’apports alimentaires conduit à un stockage de graisse dans ces cellules, qui augmentent donc de volume. Si cette augmentation est excessive, la cellule qui a grossi appelle à la rescousse une nouvelle cellule
qui, à son tour, va stocker l’excès d’énergie fourni par le déséquilibre alimentaire. C’est ainsi que le tissu adipeux se développe. Si le phénomène se prolonge et se répète, la perte de poids deviendra de plus en plus difficile, car de nombreuses cellules auront augmenté de volume et auront été recrutées. Voilà pourquoi certaines personnes ont tant de mal à perdre du poids. Dans de rares cas, l’excès de cellules est génétique ; l’excès de poids est alors très difficile à contrôler.

Pourquoi est-il si difficile de contrôler son poids ?

Comment se fait-il que le système qui contrôle biologiquement le poids et qui a l’air si sophistiqué et précis se dérègle chez tant de personnes à l’heure actuelle ? Il est difficile de répondre à cette question, mais on peut schématiser le problème de la manière suivante : certains ont hérité d’un système de contrôle du poids qui n’est pas efficace, ou qui est réglé à un poids de référence au-dessus de la moyenne. Il leur sera donc difficile, pour des raisons biologiques, génétiques, de diminuer leur poids.
Il faut considérer une diversité de situations. La majorité de la population dispose d’un système de régulation du poids qui fonctionne correctement dans les conditions de vie habituelles. Mais les modes de vie modernes sollicitent excessivement ce système, qui peut alors être mis en échec ou s’altérer. Pour prendre une image, votre climatiseur est approprié pour la France, mais si vous l’utilisiez au sud du Sahara, au plus chaud de la saison, il serait inopérant. Pour la régulation du poids, la situation est comparable. Dans une société où la dépense énergétique est réduite et où la consommation alimentaire est effrénée, le système ne sait plus faire face. Et différents facteurs, comportementaux, psychologiques et autres, viennent majorer la vulnérabilité du système.

Plus d’info

Médecine de l’obésité, dirigé par les Prs Arnaud Basdevant et Bernard Guy-Grand, éd. Médecine-Sciences Flammarion, 2004, 59 E.

Bon à savoir

  • Le poids ne suffit pas à évaluer la composition corporelle.
  • Pour un même poids, la composition corporelle peut varier.
  • Les prises de poids importantes sont dues à une augmentation de la masse graisseuse
Publié par Association GROS le