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4 moments-clés de la vie

Dominique-Adèle Cassuto (médecin nutritionniste, Paris)

À certaines étapes de la vie, comme l’arrivée d’un enfant ou l’approche de la ménopause avec la cinquantaine, à l’arrêt du tabac, sous l’effet du stress, la prise de poids menace. Comment ne pas laisser les kilos s’installer ? Réponses avec ces quatre scénarios types.

JE VIENS D’ACCOUCHER

Âgée de 25 ans, Aline a accouché il y a 4 mois d’un garçon de 3,8 kg. Elle a toujours fait attention à son poids, car, dans sa famille, toutes les femmes sont rondes. Elle a débuté sa grossesse avec un poids de 55 kg pour une taille de 1,65 m, et elle pesait environ 80 kg lors de l’accouchement.
Elle raconte avoir grossi au début de la grossesse (de 10 kg en 3 mois), et beaucoup les 3 derniers mois. Elle a perdu 15 kg assez vite après la naissance, mais elle est désespérée, car elle n’arrive pas encore à remettre ses « jeans préférés ». Elle allaite son fils et n’a repris ni son travail ni son sport hebdomadaire.

La prise de poids pendant la grossesse est très différente d’une femme à l’autre, voire d’une grossesse à l’autre chez une même femme. La prise de poids “normale” est de 9 à 13 kg, mais les femmes très minces peuvent prendre jusqu’à 18 kg sans problèmes ni pour leur bébé ni pour leur poids futur. D’autres femmes, plus rondes, prennent moins de poids, mais retrouvent plus difficilement leur ligne. Quel que soit le poids des mères, le minimum accepté par les obstétriciens est de 7 kg. Ce poids correspond au poids du bébé augmenté de celui du placenta et du liquide amniotique. Une grande partie de ce poids sert également à la constitution d’une réserve utilisée lors de l’allaitement.
La prise de poids pendant la grossesse n’est pas régulière : très faible lors du 1er trimestre, elle s’accentue dès le 4e mois (1,5 kg en moyenne par mois). Les hormones liées à la grossesse favorisent l’appétence. L’augmentation excessive de la ration alimentaire passe souvent inaperçue, alors qu’elle est bien réelle. L’annonce de la grossesse peut entraîner une augmentation inadaptée des apports alimentaires (« Je mange pour deux ! »), parfois secondaire à la levée de la restriction alimentaire antérieure. L’apparition d’une rétention d’eau, voire d’œdèmes, entraîne souvent une impressionnante augmentation de la courbe de poids vers le 7e ou le 8e mois. Ces derniers kilos sont en général très vite perdus après la naissance. La perte de poids débute “naturellement” dès le retour à un cycle menstruel normalisé si l’alimentation est normale, et il faut en général un an pour retrouver son poids antérieur.
Indépendamment du poids, il faut aussi un certain temps pour que l’étirement des tendons responsable de l’élargissement du bassin diminue et que la femme retrouve sa silhouette. Mais il se peut qu’une femme ne puisse pas retrouver celle-ci du fait des modifications physiologiques et psychologiques que la grossesse a entraînées chez elle.

Ne surtout pas suivre un régime trop strict

Lors de l’allaitement, les besoins caloriques sont à peu près identiques à ceux de la fin de la grossesse. Aussi les femmes qui allaitent ont-elles un appétit plus aiguisé que celui des autres mamans. En bloquant le retour des règles, l’allaitement retarde les mécanismes qui facilitent l’amaigrissement. L’allaitement prolongé favorise néanmoins “à long terme” la fonte des graisses stockées pendant la grossesse. À son retour de couches, la femme doit être patiente pour perdre les kilos accumulés lors de sa grossesse et ne pas se fixer d’objectifs irréalisables. Inévitablement, un régime trop restrictif pourrait être contre-productif et risquerait de provoquer un épuisement physique à un moment où s’occuper de son bébé au quotidien exige beaucoup d’énergie.

  • Cette période peut être l’occasion de reprendre une activité physique et son sport habituel (dès la fin de la rééducation périnéale).
  • Il faut opter pour une alimentation saine et équilibrée, en ne focalisant pas sur les calories, mais sur la valeur nutritionnelle des aliments. Comme dans un régime classique, il faut modérer l’apport en matières grasses sans les supprimer totalement de l’alimentation. Il faut penser à consommer des poissons gras, des noix et des noisettes pour leur teneur en oméga 3, des acides gras essentiels importants après une grossesse. Il faut aussi surveiller le taux de calcium, et combler les déficits inhérents à la grossesse et à l’allaitement en consommant 3 ou 4 produits laitiers par jour. On sait également que de 30 à 40 % des femmes présentent des carences en fer après l’accouchement ; aussi ne faut-il pas oublier de manger régulièrement de la viande. Il faut prévoir, si c’est nécessaire, une collation équilibrée dans la matinée et/ou l’après-midi (surtout durant l’allaitement).
  • Ce régime alimentaire doit être aussi repensé dès la reprise du travail et/ou de l’activité physique. Une consultation chez un médecin nutritionniste peut être nécessaire si la perte de poids ne s’amorce pas.

J’APPROCHE DE LA CINQUANTAINE

Catherine, âgée de 45 ans, accuse un léger surpoids : 70 kg pour 1,64 m. Elle a pris en 2 ans 7 kg, qu’elle n’arrive pas à perdre. Elle est depuis 10 ans proviseur d’un lycée et habite un logement de fonction sur place. Elle n’a jamais pratiqué de sport.

Dès la période de la périménopause, de nombreuses femmes se plaignent de prendre du poids. La principale cause de prise de poids – et difficulté à en perdre – est le ralentissement du métabolisme de base. Due en partie à la diminution de la masse musculaire venant avec l’âge, la prise de poids est favorisée par la sédentarité. En effet, plus la masse musculaire est importante, plus l’énergie fournie par l’organisme est grande ; et inversement. Une jeune femme de 20 ans peut consommer de 2 000 à 2 200 kilocalories par jour, alors qu’à 45 ans, l’apport quotidien doit se situer entre 1 700 et 1 800 kilocalories si elle ne pratique aucune activité physique.
L’histoire de Catherine illustre bien ces propos : elle habite sur son lieu de travail et ne fait aucun sport. Comme elle est très sédentaire, il est logique que son poids augmente régulièrement.

Apprendre à bouger

En dehors de la diminution du métabolisme de base se greffent les variations hormonales. La périménopause se traduit par une perte, brutale ou progressive, de la sécrétion hormonale en progestérone, puis en œstrogènes.
L’excès relatif d’œstrogènes par la chute de la progestérone favorise une augmentation de la graisse au niveau des fesses, des cuisses et des hanches. En ménopause confirmée, la chute des œstrogènes modifie sa répartition, avec une augmentation de la graisse abdominale. La prise de poids survient en peu de temps.

  • Le premier conseil pour Catherine sera d’augmenter son activité physique journalière (par exemple, une marche rapide d’au moins 30 minutes) et de faire du sport une fois par semaine.
  • Par la suite, son gynécologue pourra faire le point sur les variations de son cycle. En cas de ménopause confirmée, la décision de prendre ou non un traitement substitutif dépendra d’un certain nombre de facteurs, comme l’intensité de ses bouffées de chaleur, ses antécédents de cancer du sein, etc. La peur de la prise de poids sous traitement substitutif ne doit pas être un facteur décourageant, car, bien adapté, il pourrait la limiter.
  • En parallèle, Catherine se verra proposer une prescription qui adaptera les apports alimentaires à son âge et à son activité physique. La masse musculaire sera maintenue grâce à un exercice régulier, mais aussi par la consommation d’une quantité suffisante de protéines. Les grignotages pourront être diminués par une réorganisation des apports dans la journée.
  • En ce qui concerne les hommes, leur métabolisme de base est plus élevé que chez les femmes, car leur masse musculaire est plus importante. Cette dernière décroît moins vite, laissant la possibilité aux hommes de la cinquantaine de manger plus que les femmes de leur âge. La prise de poids chez eux peut cependant apparaître secondairement à une trop grande sédentarité et/ou à une alimentation trop riche. On visera alors la reprise d’une activité physique régulière, couplée à une alimentation plus adaptée.

JE NE MANGE RIEN, ET POURTANT…

Martine, qui a 37 ans, consulte pour une prise de poids récente (9 kg en 15 mois). Elle a été licenciée l’année précédente et a eu une multitude de problèmes familiaux. Auparavant, elle a toujours été mince, sauf à l’adolescence, où elle était un peu plus ronde.
Elle raconte qu’elle mange toujours de la même façon et essaie depuis 2 mois, sans résultat, de perdre les kilos pris.

Si on soumet un animal à des stress répétés en présence de nourriture, il risque fort de développer une hyperphagie et une obésité. Les expériences de “stress” faites sur des rats (on leur pince la queue) ont montré une relation positive entre “stress” et prise de poids, à condition que la nourriture soit disponible et hautement goûteuse. Dans le cas contraire, l’animal montrera des comportements agressifs ou violents. Chez l’homme, le stress n’a de valeur qu’individuelle (ce qui stresse l’un ne stresse pas nécessairement l’autre). L’addition et la répétition de stress vont entraîner des traumatismes cumulatifs aboutissant à des réactions comportementales.
En ce qui concerne le poids, le stress pourrait agir de plusieurs façons : soit il modifie le comportement alimentaire ; soit il perturbe le métabolisme en favorisant le stockage (soit les deux !). La première hypothèse, la plus couramment vérifiée, est souvent admise : « Je me venge sur la nourriture. » On peut assister à une augmentation des apports alimentaires sans modification qualitative de l’alimentation. Elle peut être due à l’affaiblissement par le stress des signaux internes de faim et de satiété, mais elle est souvent secondaire à la levée d’une restriction alimentaire chronique.
Sans enquête alimentaire détaillée, il est difficile de connaître les apports alimentaires réels pour Martine, mais sa biographie nous signale qu’elle a toujours été mince, probablement au prix du maintien d’une restriction alimentaire chronique (elle était une adolescente ronde). Dans le cas de stress chronique, une alternance de périodes de restriction et de désinhibition, majorée par une volonté de régime, se traduit souvent par l’apparition de grignotages ou de compulsions plus graves.
La seconde hypothèse, celle de la perturbation du métabolisme, suggère des prises de poids sans élévation des apports alimentaires. Elle paraît paradoxale et renvoie à une modification des rendements énergétiques par une altération des interactions entre les centres régulateurs et les neuromédiateurs et les hormones du stress (adrénaline, noradrénaline, dopamine...).

  • Dans les deux cas de figure, Martine doit bénéficier d’une prise en charge psychologique couplée à une meilleure gestion de son stress.
  • Quant à la prise en charge nutritionnelle, elle doit s’attacher d’abord à stabiliser sa courbe pondérale et à lutter contre les effets de la restriction cognitive.

J’AI ARRETÉ DE FUMER

  • Marc, 40 ans, a arrêté de fumer il y a 6 mois, et il a pris 10 kg, surtout au niveau de l’abdomen. Il n’a jamais été gros et n’a jamais fait de régime. Il consulte car il s’inquiète : son père est obèse et diabétique non insulinodépendant. Actuellement, il pèse 85 kg pour 1,80 m (avec un indice de masse corporelle de 26,23, il est actuellement en surpoids, selon la définition). Il est informaticien, et il ne fait pas de sport régulièrement. Il a arrêté de fumer sans aucune aide médicamenteuse ou psychologique. Depuis l’arrêt du tabac, il a envie de grignoter tout le temps.
  • Isabelle, publiciste âgée de 40 ans, fume depuis qu’elle a 16 ans. Elle a toujours gardé le même poids depuis sa grossesse, il y a 20 ans : 62 kg pour 1,70 m. Elle est vraiment décidée à arrêter de fumer, mais elle a très peur de prendre du poids. Est-ce possible de l’éviter ?

Voici deux cas tout à fait exemplaires. La prise de poids découlant de l’arrêt du tabagisme peut être dissuasive pour les candidats au sevrage. C’est un facteur de rechute pour bon nombre de fumeurs.
De nombreuses études épidémiologiques ont prouvé que, à sexe et âge équivalents, un fumeur a un poids inférieur à celui d’un non-fumeur. Ainsi, une femme de 30 à 40 ans qui fume pèse 2,8 kg de moins qu’une femme abstinente au même âge ; la différence atteint 4,8 kg pour une femme de 50 à 60 ans.
À l’arrêt du tabagisme, la prise de poids moyenne pour une femme est de 3,8 kg, contre 2,8 kg chez l’homme. Il existe bien sûr des variations individuelles. Ainsi, près du tiers des ex-fumeurs ne prennent pas de poids à l’arrêt de la cigarette. Un gain de poids très important (de plus de 13 kg) est observé chez 10 % des fumeurs et 14 % des fumeuses, essentiellement chez les plus de 50 ans.

Retour au poids normal

À l’arrêt du tabac, les ex-fumeurs retrouvent leur poids “naturel”, celui qu’ils auraient eu s’ils n’avaient pas fumé. Mais, s’ils n’observent pas de précautions particulières, une prise de poids plus importante peut apparaître.
Cette prise de poids est proportionnelle à l’ancienne consommation de cigarettes, car les effets de la nicotine sont indiscutables. D’une part, elle augmente les dépenses énergétiques de base de l’organisme d’environ 6 à 10 %. Ainsi, une personne qui fume 20 cigarettes par jour dépense environ de 200 à 300 kilocalories par jour de plus qu’un non-fumeur pour une même activité et un même apport alimentaire. D’autre part, la nicotine freine l’appétit, ce qui permet à certains fumeurs de maîtriser leur comportement alimentaire.
Le sevrage nicotinique entraîne de plus une modification de la sécrétion d’insuline, avec une augmentation des ingestats (l’ensemble des aliments ingérés), ainsi qu’un retard d’apparition de la sensation de satiété. L’ensemble de ces éléments peut provoquer une augmentation des apports caloriques de l’ordre de 400 à 500 kilocalories par jour. Tous ces mécanismes concourent à une prise de poids. Ils peuvent être majorés par d’autres, susceptibles d’influencer la prise alimentaire, comme la réapparition du goût et de l’odorat, qui renforce l’appétit. Enfin, l’arrêt du tabac peut induire l’apparition de troubles du comportement alimentaire comme des fringales, en compensation de la cigarette.
Malgré l’existence de ce risque, ce dernier est moins néfaste que la poursuite de l’intoxication tabagique, et il est possible de l’éviter. Une prise en charge globale lors du sevrage peut en effet limiter la prise de poids. Il faut anticiper, et surtout s’organiser.

  • Pour Isabelle, une préparation est indispensable pour vivre l’arrêt du tabac dans les meilleures conditions et se donner toutes les chances de réussite. Elle peut avoir recours aux apports nicotiniques (patch, gomme à mâcher, traitement pharmacologique…) et à un suivi diététique. Les enquêtes sur le régime alimentaire des fumeurs montrent qu’ils consomment peu de fruits, de légumes, de céréales, de produits laitiers et de produits sucrés. Ils consomment en revanche plus volontiers viandes en sauce, charcuterie, frites, alcool et café. Des études ont montré l’intérêt de modifier l’alimentation dès l’arrêt du tabac – voire avant – sans véritable restriction calorique, impossible à tenir pendant cette période de sevrage tabagique. Il est recommandé de prendre trois repas par jour. Une collation dans l’après-midi peut remplacer la pause cigarette. Si des troubles du comportement alimentaire plus graves apparaissent, un suivi psychologique doit être proposé.
  • Pour Marc, un arrêt de la prise de poids, voire un amaigrissement, est souhaitable. En effet, il a des antécédents d’obésité et de diabète, et sa prise de poids (abdominale) constitue un risque pour sa santé. Il doit arriver à augmenter son activité physique et à mettre en place un régime avec un soutien pour éviter ses grignotages, cela d’autant plus qu’il n’a pas été aidé lors du sevrage.
Publié par Association GROS le